Un article écrit par la mère d'un coéquipier lors de notre dernière demi-finale du championnat de France de Rugby Universitaire en 2002...tellement vrai ! Merci à elle encore pour ces quelques lignes
CORPS A CŒUR
Les visages sont las, marbrés par l'effort, les gnons, la déception. Pour la seconde fois, l'équipe universitaire de Paris-Dauphine vient de se voir ravir la demi-finale du championnat de France universitaire par une équipe du sud-ouest, sur un score de 14 à 8.
Certains pleurent. D'autres s'étreignent silencieusement, le regard perdu au loin ou bien le front enfoui sur l'épaule des joueurs écartés pour blessure. C'était la dernière fois que l'équipe pouvait remporter une grande victoire. Presque tous sont en dernière année de faculté, l'année prochaine, ils seront dispersés.
C'est un jeudi après-midi de printemps, au stade Biard, à Poitiers. Un fort vent a soufflé toute la partie sur le ballon. Les Dauphinois se sont laissé estomaquer, dans le premier quart d'heure, par la réputation de technicité des Bordelais. Le temps qu'ils se reprennent, le score avait bondi, pour ne pas bouger pendant 80 minutes. Ils ont donné tout leur cœur, mais le pack bordelais avait un sacré corps.
A l'échauffement, il y a la gravité de la passion, la vraie, qui brille comme un diamant non taillé dans une rivière de genoux frais et d'herbe. La sueur sent bon. Les yeux brillent. Les petites fiancées du rugby, celles qui les suivent dans tous leurs déplacements depuis le début de la saison et qui, après le match, les réconforteront avec du chocolat chaud, regardent cet extraordinaire saisissement des corps par une chorégraphie lente, chaude, concentrée. La beauté, ils la servent, là, dans ces fléchissements, ces départs, ces butées contre des épaules massives et souples, ces goulées d'air froid inspirées dans des poumons profonds, qui n'en finissent pas de se dilater, de dire oui. Oui à la course, à la victoire, au rêve d'être les meilleurs.
Dans le train du retour, ils se mettront à poil, naturellement. Ils feront la chenille en costume d'Adam, naturellement. Ils chanteront Le limousin, naturellement. Sans pouvoir oublier le cuisant qui brûle leurs cœurs de vingt ans. C'est ça aussi, le rugby : le cuisant du rêve, l'émeute d'une sensibilité qui ne se réduit pas à la force. Ils nous donnent ça, innocemment, sans savoir que c'est la plus belle chose du monde.
Anne Parlange
Elle colabore depuis ce texte (il n'avait pas été retenu, mais sa plume avait plu, et depuis, elle travail pour eux) pour le magazine attitude rugby. Elle a par ailleurs écrit plusieurs livres :"Le souffle du minotaure", aux éditions buchet chastel, "ce que chaque jour fait de veuves", aux mêmes editions (un livre sur la guerre 14/18), "Sade ou le masque de chaire, les pavots de la vieillesse", aux editions du seuil (sur le divin marquis).
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